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Le vin est-il un sujet philosophique ?02 mars 2014
L'oeil de Benoît - par Benoit Chavanne

banquet platon

Lieu commun me direz-vous !… On connaît et conçoit bien le vin à travers le prisme esthétique de la Littérature et des Arts – Stendhal en pèlerin lumineux du Clos-Vougeot, Ponge en musicien des sens chantant un « liquide qui a toutes les qualités contraires », l’approche vineuse, grave et intime, de Garcia Lorca ou la fougue diaphane et charnelle des traits du Caravage. L’art se nourrit ainsi de vin comme les Dieux d’ambroisie.

Mais le philosophe ? Le vin parle-t-il à l’homme du concept, de la dialectique et des arguments ciselés par la rigueur de l’analyse ? Assurément, et au même titre que tout le reste dirait Socrate, lui même modèle de tempérance et de mesure, mais néanmoins homme de fer capable de boire sans craindre l’ivresse (Le Banquet. Platon). C’est sa dimension culturelle, ancrée dans notre chair et nos comportements, à mon sens, qui fait du vin un sujet philosophique. Machiavel, en fin stratège et connaisseur de la nature humaine, mesure la force politique du vin : le Royaume de France n’a rien à craindre des Flamands, qui « ne récoltent pas de quoi vivre, surtout en blé et en vin, denrées qu’il leur faut tirer des Provinces de France », et donc ménager afin d’entretenir de bonnes relations commerciales (Rapports sur les choses de la France 1510).

Le vin est au cœur de nos échanges, tant commerciaux qu’affectifs et moraux. Le vin est entre les hommes, à la manière d’un trait d’union. Et à ce titre, il s’ouvre à la dimension éthique et permet une réflexion sur la Nature : produit culturel, et non naturel (comme l’eau de source ou le ciel étoilé), il la sublime parfois, portant haut les couleurs de la culture. A l’inverse, le vigneron, dans son histoire et dans son temps, peut à dessein nous tromper, détournant ainsi les bienfaits des acquis culturels. C’est là un risque et une limite à notre modernité que Rousseau met au jour admirablement dans l’Emile : «  On falsifie plusieurs denrées pour les faire paraître meilleures qu’elles ne sont. Ces falsifications trompent l’œil et le goût, mais elles sont nuisibles et rendent la chose falsifiée pire avec sa belle apparence qu’elle n’était auparavant. On falsifie souvent les boissons et surtout les vins ». Assez de philosophie, c’est bientôt l’heure d’aller en cave…!


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