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Le nez du vin21 mars 2017
L'oeil de Benoît - par Benoit Chavanne

« Le  goût  du  vin,  voilà  bien   une  locution  qui parle  d’elle-même. Avec évidence, sans mystère  ni  faux  semblant.  Fruité, épicé, opulent ou minéral, velouté, avec  des  arômes primaires ou tertiaires, d’agrumes ou de fleurs blanches, la palette est vaste. On salive, on rêve, on convoque ses souvenirs, ses expériences, ses rencontres, son éducation, et on comprend de quoi il  retourne.  Mais plus on  comprend,  plus  le  sens précis semble se dérober. Le goût du vin, est-ce le goût intrinsèque au vin –   le goût qu’il a, en lui-même, ou bien est-ce le goût qu’on en a, celui qu’il suscite ? Est-ce son goût –  indépendamment de  celui  qui  le  boit,  ou  bien  est-ce  aussi  l’attirance,  l’engouement, la passion qu’il fait naître ?

Les deux approches sont liées, l’une ne va pas  sans  l’autre.  Le  travail  d’élaboration,  d’analyse  et  de  contrôle,  les  classements ou évaluations   des   dégustateurs,   les   critères   de   typicité   ou   conformité   des organismes  de  tutelle  (Institut  national  de  l’origine  et  de  la  qualité, Organisation internationale de la vigne et du vin) renvoient tous au vin même, à son goût propre. L’enjeu  est la  sensation qu’il  crée  sur les  organes  de  celui  qui le  boit.  C’est  le  goût physiologique,  celui  dont  le  vinificateur  est  la  source.  On  parle  alors  d’approche organoleptique, au sens où l’on s’attache à la sensation que le vin provoque sur les organes du corps.

 

 

Le nez

Le  goût  est  une  histoire  de  nez,  ce  drôle  d’organe  de  trois  lettres  et  deux  trous  de part et d’autre. Son rôle est fondamental. Quand le dégustateur –   étymologiquement, celui qui recherche le goût, hume les arômes au dessus du verre, ce n’est pas une gestuelle   théâtrale.   C’est   l’olfaction   directe,   celle   par   laquelle   les   molécules aromatiques  vont  se  combiner  à  l’oxygène  de  l’air pour  s’exprimer.  Et  le  nez du  dégustateur les recueille. La poésie chantante des arômes, au-delà de la rhétorique séduisante, traduit ces arômes nés de la fermentation alcoolique, puis de l’élevage et, enfin,  du  vieillissement.  Le  nez  du  vin  n’est  pas  un  argument  marketing,  il  est  l’approche  sensorielle réelle.  Les  cépages,  devenus  vins –  après  la  fermentation,  développent des arômes liés à leur variété. Les  molécules  à  l’œuvre  dans  la  perception  olfactive  du  vin  sont  classées  en  sixgrandes  familles :  les  alcools  simples  (arômes  de  fruits),  les  alcools  terpéniques (fruits  frais  et  fleurs), les  aldéhydes (notes  citronnées  et  caramélisées), les  cétones (notamment arômes de rose et de framboise), les lactones (pêche, fruits exotiques) et les esters (très importants, notamment pour les fruits rouges).

En d’autres termes, le  chardonnay,  qu’il  provienne  de  sa  Bourgogne,  de  l’Yonne  avec  les  somptueux chablis, du Vaucluse, de l’Oregon, sur la côte ouest des  États-Unis, ou bien encore de  Nouvelle-Zélande  ou  d’Australie,  révèle  ses  arômes  variétaux,  noisette,  beurre, amande, chèvrefeuille. Avec des nuances et des différences, mais le nez retrouvera toujours ces grandes familles d’arômes constitutifs du chardonnay.  Exactement comme la rose Queen Elizabeth exhalera les mêmes familles de parfums, qu’elle soit plantée au Royaume-Uni ou en Provence. Après, c’est la terre et le climat qui parlent et portent le végétal là où il s’épanouit le mieux. Le tout guidé par la main déterminante  du  vigneron.  C’est  l’homme  qui  combine  les  éléments,  qui  signe  l’alchimie de la rencontre de la vigne, du sol et du climat. Le vrai vigneron est toujours une signature, il est l’auteur d’une combinaison unique. En un sens, il est l’origine du goût du  vin.  Et  ce  goût  du  vin  doit  énormément  au  nez.  C’est  le  premier  organe, chronologiquement,  qui  intervient  dans  l’élaboration  du  goût.  Et  peut-être  même  le premier  en  hiérarchie.  Le  nez  ne  se  satisfait  pas  de  l’olfaction  directe,  humer  son verre, qui est une phase préparatoire. La grande cérémonie du goût, le cœur de la fête  gustative,  c’est  encore  et  toujours  le  nez,  mais  par  la  bouche.  C’est  la  rétro-olfaction. Élégamment et ensemble, nez et bouche vont rendre possible le goût. Mais c’est le nez qui reste le patron et la bouche l’auxiliaire. »

Benoît Chavanne, publié en avril 2016 dans En Magnum, Le vin plus grand, Bettane+Desseauve

 

 


 


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